Escapade dans le dirigeable britannique

Karl avait réussi à se faufiler dans un des quatre transporteurs qui faisaient la liaison entre l’Allemagne et l’Autriche, pays neutre. En effet, le Kaiser allemand n’était autre que le lointain cousin de l’Empereur Autrichien, et les deux hommes se voyaient régulièrement.
De l’Autriche, le jeune homme était passé dans un autre transporteur qui ramenait sur le dirigeable britannique le Roi Edward V et la Reine Elisabeth III. Les souverains anglais avaient en effet passé l’après-midi chez leur ami Maximilien d’Autriche.

Lorsque le second transporteur royal, marqué des armoiries de la Maison Royale d’Angleterre, s’amarra au dirigeable britannique, Karl, qui respirait par un masque à oxygène pour ne pas être irradié par les particules radioactives en liberté dans l’air, sauta et s’accrocha comme une ombre sur les cordages qui entouraient l’immense ballon du dirigeable.
Dans la nuit tombante, il grimpa au sommet du ballon, d’aidant des cordages. Une fois qu’il eut atteint son but, il s’assit et resta un moment à contempler les étoiles.
On ne voyait pas les étoiles depuis les passerelles, situées sous le ballon. Karl avait appris leurs noms avec les livres anciens, en regardant des documentaires vidéos ou en consultant des cartes célestes sur le Net.
Il les retrouvait toutes, ces constellations qui restaient un mystère pour le reste des Hommes. La Grande Ourse, la Petite Ourse, le Dragon, le Cocher, le Cygne… La poésie des étoiles le laissa songeur pendant une dizaine de minutes. Pourquoi les gouvernements ne laissaient pas leurs peuples voir ces astres lointains qui dégageaient une telle magie ?
Sous les étoiles, assis au sommet du dirigeable britannique, il se sentait le roi du monde. Il songeait à Finn et Julian, qui étaient restés dans le dirigeable allemand, et le couvraient dans son escapade. Il pouvait distinguer les faibles lueurs blanches émises par d’autres dirigeables, et se demandait si d’autres jeunes gens aussi téméraires que lui avaient osé grimper à l’extérieur des ballons.
Il fut interrompu dans sa rêverie par un bruit de pas.

Kathleen avait placé deux gardes devant la porte de la chambre de la Princesse Isabel d’Angleterre, et était partie explorer une fois de plus le dirigeable de son pays natal. Elle considérait qu’elle ne le connaîtrait jamais assez, donc elle s’astreignait jour après jour, enfin nuit après nuit, à le parcourir encore et encore, plus particulièrement le ballon. Elle voulait connaître par cœur l’agencement des moindres poutrelles pour être capable de se battre sans se soucier d’une chute possible.
Elle traversa donc la passerelle d’habitation, salua au passage quelques amis, Gardes des Souverains d’Angleterre, et emprunta les escaliers qui lui permettraient de rejoindre le pont supérieur et de là l’intérieur du ballon.
Elle passa rapidement dans la salle des machines, sans être vue. La jeune femme prit les escaliers qui menaient à l’intérieur du ballon.
Comme à chaque fois qu’elle arrivait ici, l’agencement des poutrelles, des câbles et des ballonnets d’hélium la frappa. Aucun câble ne touchait une seule poutrelle, pourtant d’en bas on aurait dit qu’un géant s’était amusé à entortiller, croiser et emmêler les câbles d’acier et les poutrelles d’aluminium renforcé.
Elle passa derrière son père, le Commandant du dirigeable, sans qu’il ne la voie. Elle entendit brièvement Nathanael Blawn parler d’un problème avec le ballonnet d’hélium numéro douze, mais elle était déjà perchée sur une poutre à deux mètres du sol.
Elle se hissa plus haut, sauta dans le vide, crocheta un câble, se rétablit sur une autre poutrelle, et continua son escalade. Elle connaissait le chemin jusqu’aux ballonnets dix-sept et dix-huit par cœur. L’espace réduit entre ces deux ballonnets était son lieu de solitude préféré.
Mais ce soir là, elle n’avait pas envie de rester calée contre un ballonnet. Elle prit un masque à oxygène dans un coffre de survie placé là, le passa autour de son cou, et se hissa jusqu’au sommet du dirigeable.
Elle mit son masque en place, vérifia qu’elle respirait normalement et entra dans la capsule. Elle referma la porte derrière elle, attendit deux minutes et ouvrit l’écoutille qui menait sur le sommet extérieur du ballon.
Elle fut surprise de trouver quelqu’un assis dos à elle, la tête levée vers les étoiles. Elle devina à la silhouette qu’il s’agissait d’un homme, assez jeune. Ses cheveux d’un noir de jais reflétaient la lumière de la lune, et s’agitaient dans la faible brise qui soufflait.
Kathleen monta sur le « toit » du dirigeable.
Le bruit de ses pas alerta l’inconnu, qui se retourna. Mais la jeune soldate ne put distinguer son visage à cause du masque à oxygène. Seuls ressortaient ses yeux, aussi noirs et profonds que la nuit.

-Qui es-tu ? demanda Kathleen.

Karl se retourna au son des bottes dans son dos.
Une jeune femme se trouvait là. Dressée de toute sa taille, elle le dominait de par sa stature. Un étonnement mêlé de crainte s’empara du jeune homme. C’était bien là la première fois qu’il se sentait dominé par une autre personne ! Qui était-elle pour lui imposer comme cela une soumission presque instantanée ?
Malgré cela, son visage resta de marbre. Aucune personne autre que ses amis ne devait jamais deviner ses émotions. Il s’était faite cette promesse à l’âge de huit ans, lorsque le Kaiser avait renvoyé un excellent Ministre qui avait tressaillit devant une exécution capitale. Karl devait être fort. Non, il devait être le plus fort.

-Qui es-tu ? demanda-t-elle.

Il fut surprit par la douceur de sa voix. Il pouvait à présent distinguer, alors qu’elle s’était rapprochée, le blason des Gardes de la Maison Royale d’Angleterre, brodé sur son uniforme. Une soldate. Capitaine s’il en croyait les épaulettes. Il était clandestin, alors pourquoi diable lui parlait-elle si gentiment ?!
Imperturbable, il se leva sans un mot. Il se dressa de toute sa taille. Il dépassait à présent d’une dizaine de centimètres. Mais malgré cela, la soldate le dominait toujours. Il tenta de se reprendre en main, de reprendre le contrôle de la situation, mais les yeux de la jeune femme étaient fichés dans les siens. Deux prunelles d’un brun chaud qui l’observaient, en attente d’une réponse.
Il observa un instant ses cheveux d’un roux flamboyant s’agiter faiblement dans la légère brise. Elle portait un petit béret de feutre rouge qui les retenait à moitié. Son uniforme était composé d’une chemise blanche, d’une capeline qu’il devina de cuir repoussé, d’une jupe rouge sombre et de bottes brun clair. Une épée, dont la lame étincelait de blancheur, pendait à sa taille. Son fourreau était décoré de feuilles immaculées.
Mais pourquoi diable n’avait-elle pas sorti son épée ?!
Il plongea à nouveau son regard dans les yeux chocolat de la soldate.

-Karl Von Chielfeld.

La fascination qu’exerçait sans le savoir ce jeune homme sur Kathleen était déroutante pour la soldate. Seul, solitaire, il observait les étoiles comme elle avait coutume de le faire autrefois, lorsqu’elle n’était qu’une enfant. Une enfant rêveuse, qui imaginait que les étoiles viendraient pour réconcilier les Hommes entre eux.
Il se leva d’un mouvement lent et mesuré, calme et posé.
Il portait une veste sombre, ouverte sur une chemise blanche, au col ouvert qui dévoilait son cou pâle. Un foulard bleu clair était négligemment noué autour de son cou, et volait dans la faible brise. Un pantalon sombre, assorti à la veste, et des chaussures de cuir brun complétaient cette tenue.
Kathleen se concentra un instant pour n’offrir qu’un visage de marbre aux yeux noirs comme la nuit que l’inconnu posa sur elle. Elle plongea son regard dans le sien. Elle laissa ses yeux exprimer une légère curiosité mêlée d’attente, et pencha très légèrement la tête sur le côté. Elle voulait la réponse à la question qu’elle lui avait posée quelques instants auparavant. Et qu’il semblait ignorer.
Il restait immobile, droit et fier dans la nuit. La soldate devina à sa posture qu’il avait l’habitude de dominer les gens à qui il s’adressait. Mais il ne semblait pas vouloir la dominer, elle. Pourquoi ?

-Karl Von Chielfeld.

La voix de l’inconnu était douce comme un poème. Les consonances germaniques de son patronyme firent froncer imperceptiblement le sourcil à Kathleen. Un clandestin ? Possible, probable même. Mais que faisait un allemand sur le toit du dirigeable britannique, à contempler les étoiles ? Il aurait dû descendre aux cuisines, essayer de grappiller de quoi manger !
Kathleen, de plus en plus surprise et curieuse, proposa à Karl :

-Descendons dans le ballon. Nous y seront plus à l’aise.

Elle voulait à tout prix voir le visage de son inconnu.

Alors que Karl avait répondu à la question de la jeune femme qui le dominait depuis quelques minutes, il se maudit intérieurement. Mais pourquoi diable avait-il donné son vrai nom, un nom bien allemand ?! La confiance que lui inspirait insensiblement cette fière soldate l’avait poussé à dire la vérité.
Elle haussa d’ailleurs très légèrement le sourcil à l’entente de son nom. Le jeune homme se serait donné des coups de poing, s’il avait pu.
Mais, à sa grande surprise, la seule réaction de la jeune rousse fut une proposition de sa voix d’ange tombée du ciel.

-Descendons dans le ballon. Nous y serons plus à l’aise.

Dans le ballon. Dans le ballon, pas sur une des passerelles. Il nota la subtile différence. La jeune femme ne voulait donc pas révéler à tout le dirigeable la présence d’un clandestin allemand perché sur le sommet du ballon.
La proposition le tentait. Il avait envie de voir en entier le visage dont les yeux d’un doux brun le dévisageaient depuis tout à l’heure. Il avait envie de découvrir vraiment, de voir entièrement cette femme qui lui imposait sa présence, qui le dominait en dépit de sa fine silhouette. Qui le dominait alors qu’il faisait dix bons centimètres de plus qu’elle.
D’un autre côté, il s’agissait peut-être d’un piège. Elle avait peut-être placé dans la capsule de désirradiation deux autres gardes, plus costaux, qui ne feraient qu’une bouchée du clandestin qu’il était.
Et puis, la douceur improbable des yeux chocolat de la jeune soldate, le fait qu’elle n’ait pas dégainé son épée, sa posture détendue, le fait qu’elle le domine sans qu’il ne puisse y remédier, sans qu’il ne veuille y remédier, le doux son de sa voix, qui sonnait comme une clochette, lui firent perdre la tête.
Il ficha son regard dans celui, brun chaud, de la jeune rousse et répondit :

-C’est d’accord. Je vous suis.

A peine sa question posée, Kathleen la regretta. Elle allait introduire un parfait étranger dans le dirigeable britannique, et ainsi mettre éventuellement la Princesse Isabel, le Roi Edward V d’Angleterre et la Reine Elisabeth III en danger !
En se maudissant intérieurement, elle pria pour que son inconnu n’accepte pas sa proposition. Même si elle voulait à tout prix voir son visage en entier. Elle ne supportait pas, pour parler à une personne, de ne pas vois l’intégralité de son visage.
Le jeune brun semblait hésiter. Kathleen respirait calmement, mais quelqu’un la connaissant bien aurait décelé un rythme de respiration forcé à rester lent et coulé. Son père, par exemple, ou la Princesse Isabel. Personne d’autre.
Alors que la rousse attendait toujours la réponse de Karl, elle sentit sous ses pieds le dirigeable tourner, lentement, avec un murmure rugueux qui faisait trembler légèrement l’enveloppe du ballon sur laquelle les deux jeunes gens se trouvaient.
La brise changea de côté, et le léger foulard bleu du jeune brun vola de l’autre côté. Ses cheveux furent également ramenés à gauche.
Soudain, alors que le dirigeable achevait son changement de cap, le jeune homme en face d’elle répondit à sa question, de sa voix chaude et douce comme une caresse :

-C’est d’accord. Je vous suis.

Une panique mêlée de satisfaction envahit Kathleen. Les dés étaient jetés. Il était trop tard pour faire demi-tour.
Alors qu’elle faisait se retournait vers la capsule de désirradiation en indiquant à Karl de la suivre, elle sentit le dirigeable perdre rapidement de l’altitude. Ils allaient s’envoler !
Elle fit volte-face et saisit le jeune homme par le poignet. Puis, automatiquement, elle se baissa et crocheta une des cordes qui entouraient le ballon. Tenant toujours la main de Karl, elle lui annonça d’une voix blanche :

-Tenez-vous si vous ne voulez pas vous envoler ! Et suivez-moi en tenant toujours au moins une corde.

La jeune rousse ouvrit le chemin. En se tenant à chaque instant à une corde minimum, elle guida Karl dans la capsule de désirradiation. Elle ouvrit le toit, et fit signe à son inconnu d’y entrer.

Karl sentit l’appréhension gagner la jeune rousse en face de lui un infime instant avant de disparaître, remplacée par… de la satisfaction ! Elle était contente qu’il ait accepté sa demande.
Elle se retourna, le privant de ses captivants yeux bruns. Un soupir courroucé lui échappa, heureusement son interlocutrice ne le remarqua pas. Il esquissa un pas en avant pour la suivre, lorsqu’un changement minime dans les vibrations régulières qui agitaient l’enveloppe du ballon coupa le jeune brun dans son élan.
Enfin, ce fut surtout la jeune rousse qui le coupa dans son élan. Elle se retourna brusquement, lui saisit le poignet et le plaqua contre la toile du dirigeable. Lui ne comprenait rien, s’attardant seulement sur ses mains si douces, surtout pour une soldate.
Il la vit s’emparer d’un des câbles qui couraient sur l’enveloppe externe du ballon de sa main libre, l’autre étant toujours sur le poigner du jeune allemand, pour son plus grand plaisir.
Elle se tourna vers lui et le fixa de ses immenses yeux bruns, d’où une angoisse soudaine était peu à peu chassée par du soulagement. Lorsqu’elle parla, ce fut d’une vox blanche.

-Tenez-vous si vous ne voulez pas vous envoler ! Et suivez-moi en tenant toujours au moins une corde.

Il la regarda, hébété. Ainsi, cette sensation de légèreté soudaine à l’instant, c’était par ce que le dirigeable plongeait ? Il ne se souvint pas avoir vécu de chose pareille lors de sa vie dans le dirigeable allemand, puis se rappela que le sol des passerelles était pourvu d’un champ de gravitation. Qui n’était pas assez puissant pour englober également l’extérieur du ballon.
La jeune femme lâcha son poignet, ce qui le ramena à la réalité. Sans plus se poser de questions, il la suivit, s’agrippant aux câbles, s’efforçant de garder une respiration calme.
Il admirait la soldate qui se déplaçait d’une démarche souple, féline, gracieuse. Elle devait avoir l’habitude de ce genre de choses.
Pas lui.
Il soupira de soulagement lorsqu’elle ouvrit devant lui la coupole qui permettait d’accéder à la capsule de désirradiation.
Elle l’invita à entrer, il se glissa dans l’ouverture. Non sans une légère crainte qui lui piquait l’estomac.

Kathleen, tout en avançant vers la capsule de désirradiation, gardait une oreille attentive sur les battements de cœur de Karl, afin d’éviter toute complication.
Elle avait deviné en voyant le jeune homme qu’il n’avait pas l’habitude de se balader sur le toit du dirigeable, surtout pendant les manœuvres.
La jeune rousse atteignit rapidement la coupole qui s’ouvrait sur la capsule. Elle sourit. Le trajet s’était déroulé sans encombres. Elle se retourna vers le brun qui la suivait à quelques mètres, et son sourire s’étira, avant de disparaître instantanément. La soldate ouvrit la coupole, invitant son inconnu à entrer dans la capsule.
Ce qu’il fit.
Kathleen sentit une pointe d’anxiété dans la respiration de Karl. Même s’il ne risquait rien, il craignait pour sa vie et c’était bien normal. Mais Kathleen ne devait rien tenter contre les clandestins, étant chargée de les aider au maximum.
Elle se glissa à son tour dans l’étroit habitacle, et referma la coupole derrière elle. Elle en vérifia l’étanchéité, avant d’enclencher la désirradiation. Puis elle s’assit sur un banc. L’opération allait prendre une dizaine de minutes.
Le silence régna, seulement troublé par le ronronnement des petits moteurs drainant les particules radioactives. Kathleen avait les yeux fixés sur les prunelles d’un onyx profond de son inconnu. Il fallait qu’elle arrête de l’appeler comme ça ! Il se nommait Karl. Karl Von Chielfeld. Un noble allemand.
Une fois la désirradiation terminée, les moteurs se turent. Kathleen déverrouilla la porte de sortie grâce à un code, puis précéda Karl sur la coursive, afin de s’assurer qu’elle était bien déserte.
Ce qui était le cas.
La jeune rousse se retourna et fit signe au brun de la suivre. Elle referma la porte qui se verrouilla automatiquement, puis murmura :

-Gardez votre masque, c’est plus prudent. Ici, bon nombre de gabiers le portent en permanence.

Elle suivit la passerelle principale durant une dizaine de mètres, avant de bifurquer sur une coursive secondaire, qu’ils suivirent durant quelques minutes, avant que Kathleen ne s’arrête soudainement. La tête levée vers les haubans et les poutrelles.

-C’est là. Vous voyez ? demanda-t-elle en pointant quelque chose du doigt. Les ballonnets dix-sept et dix-huit offrent un abri contre les regards, et les gabiers savent que c’est mon coin. Vous y serez en sécurité. Savez-vous grimper ?

Karl observa la jeune femme se glisser souplement dans la capsule à sa suite. Heureusement, elle ne lui avait tendu aucun piège. Il se détendit imperceptiblement.
Durant toute la durée de la désirradiation, il dévora la jeune rousse des yeux. Toujours sans voir son visage. Mais ici, avec la lumière qui éclairait la petite pièce, il pouvait mieux observer le corps de son inconnue. Elle était fine, mais on devinait les muscles puissants qui jouaient avec force sous l'uniforme. Elle avait les jambes fines et droites, d'une galbe parfaite. Non, plus que parfaite. Il faillit demander si elle n'était pas la réincarnation de Vénus, mais se retint. En remarquant qu'elle l'observait aussi. Il ficha ses yeux dans les prunelles chocolat.
Lorsque les petits moteurs se turent, elle se leva, et composa le code d'ouverture de la porte. Le jeune homme ne chercha même pas à regarder ce qu'elle tapait sur le clavier tactile. Elle avait confiance en lui, il ne la trahirait pas.
Elle se leva, mais sur un signe d’elle il ne sortit pas à sa suite. Elle rentra dans la capsule après avoir vérifier qu’il n’y avait personne, du moins c’est ce qu’il supposait.

-Gardez votre masque, c’est plus prudent. Ici, bon nombre de gabiers le portent en permanence.
Il hocha silencieusement la tête et se glissa à sa suite sur la passerelle principale. La jeune rousse ferma la porte derrière lui, qui se verrouilla avec un léger claquement.
Il la suivit sur quelques mètres, avant qu’elle ne bifurque sur une passerelle moins empruntée. Ils y marchèrent pendant quelques minutes, puis la fascinante jeune fille s’immobilisa au milieu de la coursive. Karl, qui observait les alentours, faillit lui rentrer dedans et n’évita la collision que de justesse.
Il leva les yeux vers l’endroit qu’elle lui indiquait :

-C’est là. Vous voyez ? Les ballonnets dix-sept et dix-huit offrent un abri contre les regards, et les gabiers savent que c’est mon coin. Vous y serez en sécurité. Savez-vous grimper ?

Il sentit une boule d’appréhension se former dans sa gorge, mais acquiesça lentement. Puis il se remémora l’épisode du « toit ». Et se détendit. Il était en sécurité avec elle, il en aurait mis sa main à couper.

-Je sais grimper… disons que j’arrive à ne pas tomber. Sur un mur stable. Sur des câbles et des poutrelles, je ne garantis rien.

Kathleen sentit Karl se tendre imperceptiblement avant de répondre à sa question :

-Je sais grimper… disons que j’arrive à ne pas tomber. Sur un mur stable. Sur des câbles et des poutrelles, je ne garantis rien.

La jeune soldate se mordit la lèvre. Elle regardait dans le vide, réfléchissant à la manière de faire grimper le jeune allemand dans son refuge. Elle n’avait pas la force de le hisser, même en s’aidant de poulies. Si elle en avait eu sous la main. Elle soupira.
Soudain, des bruits de pas troublèrent le silence environnant. Instinctivement, la rousse tourna les yeux vers l’origine du bruit.
Et se raidit en reconnaissant la silhouette du maître-gabier. Il connaissait tous des hommes, faire passer le jeune clandestin pour l’un d’eux relevait de l’impossible.

-Karl, commença-t-elle, je vais chercher une corde en haut, pour vous assurer. Il faut faire vite, M. Weston n’aime pas les clandestins, encore moins les Allemands. Nous avons…

Elle tendit l’oreille.

-… pas plus de sept minutes. J’y vais.

Elle se jeta dans le vide, crocheta un câble, joua de son mouvement de balancier pour se rétablir sur une poutrelle parallèle à la passerelle. Elle grimpa comme une écureuil dans les poutres en aluminium qui soutenaient les ballonnets dix-sept et dix-huit.
Elle fut en haut en moins d’une minute. Kathleen se hissa sur l’étroite plate-forme, tira une corde d’un coffre et la jeta vers Karl. Elle tomba aux pieds du jeune homme.
D’un bon formidable, elle atterrit sur la passerelle, juste à côté du jeune homme. Elle noua la corde d’abord autour de la taille du brun, puis autour de la sienne.

-Dépêchons, plus que quatre minutes ! Il suffira de se dissimuler en dessous de la passerelle.

Joignant le geste à la parole, elle enjamba la rambarde de la coursive. Puis elle fit signe à Karl de faire de même.

Karl observa avec envie l’agilité de la jeune rousse lorsqu’elle se hissa, sautant de câble en poutrelle, jusqu’à l’étroit espace entre les ballonnets. Elle arriva en haut en moins d’une minute. Elle devait bien connaître l’agencement des poutrelles. Une corde lovée sortit du néant et atterrit aux pieds du jeune allemand, suivie quelques secondes plus tard par la jeune femme qui l’avait lancée.
La jeune capitaine se rétablit avec grâce sur la passerelle, puis noua une extrémité de la corde autour de la taille du brun. Elle compta deux mètres, puis s’attacha également. La jeune rousse leva les yeux vers Karl, qui remarqua encore à quel point elle était belle. Ses prunelles chocolat brillaient d’un feu farouche.
Karl lut dans ses yeux la détermination de la jeune femme. On ne le découvrirait pas.
Elle prit la parole d’une voix qui se voulait calme mais qui était légèrement tendue, interrompant ses pensées :

-Dépêchons, plus que quatre minutes ! Il suffira de se dissimuler en dessous de la passerelle.

Joignant le geste à la parole, elle sauta la barrière qui encadrait la coursive, et s’immobilisa, faisant signe au jeune clandestin allemand de la suivre.

« Elle veut me tuer. Elle veut me tuer ! »

Karl était pétrifié. Il hocha la tête de gauche à droite, de plus en plus vite. Il n’était pas fou ! Mais les pas se rapprochaient, il n’avait plus le temps de tergiverser. Il inspira un grand coup, et sauta la barrière en métal froid. Pour se retrouver à côté de la jeune rousse.
Il lui faisait confiance. Aveuglément. Il avait décidé de lui faire confiance. Malgré cela, les mains fines du jeune allemand tremblaient sur la barrière. Il essayait de respirer calmement et lentement mais son souffle était saccadé. Il tourna son regard vers la jeune femme, et murmura d’une voix blanche :

-Je vous suis.

Lorsqu’elle fit signe à Karl de la suivre, le jeune allemand regarda Kathleen avec des yeux où brillait la peur. Il fit non de la tête, de plus en plus vite. La jeune rousse le pressait du regard, entendant les pas du gabier en chef Weston qui se rapprochaient dangereusement. Il ne devait pas les voir ! C’en serait fini de Karl, et la jeune rousse ne l’aurait pas permis. Pour rien au monde elle ne laisserai Weston intervenir dans la mission que lui avait donfié le Roi d’Angleterre. Elle se mit à réfléchir intensément à une solution, une façon de se sortir de cette impasse. Alors qu’elle essayait d’imaginer à toute vitesse une raison suffisante sinon valable de la présence d’un jeune noble allemand dans les coursives du ballon britannique, le jeune brun se décida, et passa de l’autre côté de la barrière métallique, à gauche de Kathleen.

-Je vous suis, dit-il d’une voix blanche, d’où perlait la peur.

Kathleen envisagea pendant une folle seconde de lui dire de remonter sur la coursive, et de le faire passer pour un cousin éloigné. Jamais, au grand jamais il ne pourrait la suivre sous la passerelle, dans les enchevêtrements de câbles et de poutrelles qui soutenaient les ballonnets d’hélium et l’enveloppe extérieure du ballon. Mais cette folle seconde n’était qu’une seconde, et l’idée disparut de l’esprit de la jeune Capitaine de la Garde Rapprochée de la Princesse Isabel aussi rapidement qu’elle y était apparue. La rousse observa un instant le clandestin dont elle s’était imposé la charge. Ses mains, fines et blanches, tremblaient sur la barrière métallique, et son visage était crispé. La compassion envahit Kathleen. Il était venu sur le dirigeable britannique sans doute pour échapper au fascisme grandissant en Allemagne, et voilà qu’elle le mettait dans une situation impossible. Mais ils n’avaient plus le temps de tergiverser.
Le jeune capitaine ficha ses yeux dans ceux de Karl et lui adressa un sourire réconfortant et rassurant, puis plaqua sa main sur la bouche du jeune allemand pour l’empêcher de crier. Elle saisit fermement la corde qui entourait la taille du brun.
Puis elle sauta, en l’entraînant avec elle.
Leur chute fut stoppée deux mètres plus bas par les nœuds installés par Kathleen sur les câbles qui couraient juste en dessous de la coursive. Ils étaient à l’abri des regards, et Karl ne craignait plus rien. S’attendant à des repproches courroucés, la rousse ôta avec résignation sa main de la bouche du brun.